La grande annonce

Elle vient de quitter les bras de son ange, a quitté le lit aussi car impossible de s'y concentrer.
Et ce jour elle a une lettre à écrire, et pas des moindres.
Elle regarde, posés sur la table en pierre devant elle, le parchemin, la plume, l'encre.
Bon bon bon se dit-elle, par où commencer?...

Oui c'est vrai par où commencer?
Sa main doucement lisse le parchemin avant de prendre la plume.

Citation :

Ma chère maman,

Tout d'abord je tiens à te rassurer, je ne suis pas ton exemple de vie, je me contente de suivre la mienne, de saisir les opportunités qui me sont offertes, simplement.
Et la plus belle opportunité qui me fut offerte à ce jour, c'est Eloy.
Avec lui je n'ai pas besoin d'estre une austre, il m'aime comme je suis, raleuse, fragile, perdue...

Légère inspiration de la demoiselle avant de reprendre:

Citation :

Pour estre franche maman, je t'aime plus que tout, nostre lien n'est pas qu'une obligation, c'est un plaisir, tu es ma mère et j'en suis fière.
Malgré tout je ne souhaite pas vivre ta vie un jour, ce n'est pas ce genre de vie qu'il me faudrait. J'ai besoin de plus d'attaches que toi, j'ai besoin d'un chez moi où revenir après mes ballades, je ne pourrai supporter d'estre trop loin des gens que j'aime, déjà qu'entre toi, ald, le baron et papy...
Mais même si je vous aime fort tous les quatre, je déteste vostre choix de vie qui toujours vous éloigne de moi...
C'est peut estre ma seule crainte pour Tristan, qu'il vive cela comme j'ai pu le vivre...
Car même si je fêterai dans quelques jours mes dix sept ans, je ne vis toujours pas ça bien et je doute que cela change un jour.

De nouveau sa main quitte le parchemin, ses yeux vont se perdre sur la Saône. Des mots trop durs, peut être, mais encore une fois la demoiselle n'est pas des plus douée en relations sociales, encore moins lorsqu'il faut s'épancher.
Aujourd'hui, en cette lettre elle va se confier, comme elle ne peut le faire en direct.
Ce jour plus que jamais la présence maternelle lui manque. Voir les yeux de sa mère lorsqu'elle lui dira, se faire prendre dans les bras, l'entendre dire qu'elle est heureuse, partager cela ensemble....

Citation :

Donc maman, les rumeurs, les qu'en dira-t-on... Je m'assieds dessus.
Avec lui je vis, je l'aime, je souris à chaque réveil, parce qu'il est là.
Sans que je ne fasse rien les langues se sont toujours laissées aller, au moins cette fois je leur offre matière..
Et je ne souhaite qu'une chose à la rumeur, qu'elle prenne autant de plaisir que moi j'en prends, elle sera alors comblée...
Je l'aime, je suis heureuse, que les jaloux aillent au diable...

Concernant le baron je ne puis t'en dire plus, ma dernière lettre est restée sans réponse. Jamais je n'arriverai à vous comprendre, vous les adultes...Bien trop compliqués...
En tous les cas je lui réécrirai bientôt, j'ai une nouvelle à lui annoncer, je te donnerai des nouvelles si j'en reçois.

Maman...
Maintenant je vais te demander de t'asseoir à nouveau...
Je regrette d'avoir à t'annoncer cela par missive, j'aurais préféré de vive voix...Mais tant pis..
Hier Eloy m'a demandé en fiançailles... Et bien entendu j'ai dit oui, sans même y réfléchir. Car à quoi réfléchir? Nous sommes jeunes, nous nous aimons et cette folie qui nous anime est ennivrante..
En cette lettre je viens donc demander ton consentement avant toute chose.. Que tu acceptes de laisser sa fille s'envoler avec lui...

Je sais bien sur que tu ne t'y opposeras, mais la coutume fait que ton consentement est nécessaire...

Je regrette vraiment d'écrire ceci, cela en devient presque impersonnel malgré l'importance du moment... Tu me manques maman...

Veille bien sur toi si cette campagne vous mène encore au combat..Aristote te veille en tous les cas, je lui demande chaque soir..

A bientot
Ta fille

Et voilà, c'est fini, la demoiselle repose la plume, les yeux emplis de larmes, regrets de ne pouvoir partager cela avec elle.
Elle inspire légèrement en ravalant le sanglot qui menaçait, replongeant son regard sur la Saône bien calme ce jour, fermant les yeux un instant avant de rouler le velin.

Voilà c'est fait...

Ils arrivèrent dans la deuxième ville étape de leur course vers le Sud. L'Errante arrêta sa monture devant une auberge qu'ils avaient repérées, puis l'avait confié au Pal , glissant quelques monnaies contre bons soins.

La porte de la chambre franchie, elle laissa choir son bagage sur le lit puis fit un tour du regard: confortable.
Elle enleva sa sacoche qu'elle posa sur la table d'écriture, et tout en enlevant sa cape azur elle repensait aux mots qu'elle avait choisit afin de s'adresser à sa fille .
Elle s'installa, prit son nécessaire à écrire, puis inspira longuement traçant l'image de sa fille en sa tête. Près du feu qui crépitait, elle commença....

Citation :

Tulle le 1er du mois de février de l'an 1458

Ma chère Enfant, tendre Appolline,

Un arrêt dans une Auberge afin de prendre le temps de te répondre correctement. J'ai longuement réfléchi après la lecture de ta missive qui a secoué un bon nombre de choses en moi.
Et il m'a fallu un temps afin de prendre assez de recul sur beaucoup de questions afin de te répondre avec mon cœur de mère.
Je me rends compte que mon absence te pèse, et que j'aurais voulu être à tes côtés afin d'apprendre la nouvelle, c'est certain.
Mais tu sais comme moi que ma vie ne pourrait être entière si je restais en un endroit où je ne trouve plus ma place et ne trouve plus comment servir mon Roy.

Mais je ne dirai plus sur mon compte car c'est de toi dont il est question, et de ton avenir. Ma fille, j'ai toujours mené mes affaires de cœur en mon âme et conscience, selon les choix de vie qui m'étaient imposés mais aussi que j'avais choisi.
Tu as ce choix également ma douce car je ne pourrais rien t'imposer. Je ne souhaite que ton bonheur et ce bonheur étant si dur à trouver ... si tu penses qu'en Eloy tu le trouveras, je te donne ma bénédiction.

Je te pense assez réfléchie, tu es en âge de tenir un domaine. Si tel est ton bonheur, je suivrais.
Sache que ce vers quoi tu t'engages est le mariage et que ce lien est sacré et indestructible devant les hommes d'Aristote.

Je serai à tes côtés Appolline, sois en sûre.

Je t'embrasse

Affectueusement,

Ta mère

Lentement elle relut la missive. Elle retint ses larmes d'être aussi loin de sa fille, de ne pas être là pour répondre à ses questions, car elle allait s'en poser, c'était certain.
Il allait lui falloir la voir absolument. Elle se rapprochait d'elle... Elle irait la voir.